“Damien Cadio
Till Rabus
Léopold Rabus
Solène Rigou
Gongmo Zhou
”
….
“(…), je suis des forêts noires,
Ma mère m’a porté dans les villes, alors
Que j’étais dans son ventre. Et le froid des forêts Sera en moi jusqu’au jour de ma mort.
(…)
De ces villes restera : celui qui les traversait, le vent !
Sa maison réjouit le mangeur : il la vide. Nous sommes, Nous le savons, des gens de passage
Et ce qui nous suivra: rien qui vaille qu’on le nomme.”
Du pauvre B.B., Bertolt Brecht, 1922
Les Refuges Contraires réunit les œuvres de Damien Cadio, Solène Rigou, Léopold et Till Rabus et Gongmo Zhou. A l’orée de cette exposition se trouve une réflexion sur les lieux que nous habitons, leurs ambivalences et leurs interférences. Confrontant les espaces naturels et les villes, interrogeant ce qui fait un refuge ou ce qui provoque l’hostilité, les œuvres exposées jouent de la représentation des environnements qui nous entourent, des corps qui les occupent, de la faune qui les habite ou des objets qui les peuplent.
À première vue, la nature n’est pas ici un havre paisible, un refuge idéalisé : elle peut se faire menaçante et chaotique. Elle dérange et révèle, parfois, une forme d’inquiétante étrangeté. Ici, une forêt trop dense, un incendie, là une faune insaisissable. Il y a des parasites, un humus qui se fait corps… Autant de témoins d’une réalité sombre, où l’humain, qui interfère, semble toujours en équilibre précaire. Face à elle, la ville se dévoile sous un jour inattendu. Parfois décrite comme une jungle urbaine, brutale et oppressante, elle révèle ici une facette plus protectrice, plus intime, éteignant à feu doux le naturel et le sauvage. On y décèle le potentiel rassurant du bâti et l’abri que l’urbain est capable d’offrir -de manière collective comme individuelle.
Quand on y prête attention, des inversions apparaissent. Les œuvres, en nous invitant à réévaluer notre rapport à ces environnements, à leurs frontières et à leurs interfaces, font apparaitre une certaine porosité entre eux : des multitudes d’imbrications et d’assuétudes. L’exposition devient alors un exercice de pensée, une exploration où les repères s’inversent et où chaque refuge peut cacher son contraire. Car entre ces deux mondes, les frontières sont perméables, et leurs interférences ne cessent de redéfinir nos espaces de vie. Parfois, la nature s’immisce, balaye, se fait entendre, s’ancre sur l’humain et pique. D’autres fois, l’humain envahit les paysages, morcelant les territoires sauvages et imposant ses propres règles. Ces rencontres oscillent entre harmonie et destruction, entre résilience et dégradation. Inversement, si la ville peut être un refuge, elle est aussi le théâtre de débordements. Elle trahit alors sa douceur apparente et révèle une hostilité propre à son effervescence dans laquelle l’humain exprime parfois ses facettes les plus brutales.
De tels paradoxes sont contenus dans les œuvres des artistes et, selon nos humeurs et nos dispositions, libre à nous de les interpréter. Ces œuvres, dans leur force, entretiennent une forme de dissensus -en tant que reconfiguration conflictuelle du monde- et nous permettent d’en interroger la configuration et les évidences.
Ainsi dans les travaux de Gongmo Zhou, représentant des reflets de passants dans les vitrines, portes et façades de bâtiments, l’idée d’interface et de frontière apparait comme centrale. Les villes, pensées, normées et bâties selon nos règles, nos échelles et nos histoires nous plongent paradoxalement dans une forme d’anonymat. Nous y passons, vaporeux et troubles comme ces reflets, sans y laisser de traces en suspension entre deux mondes.
Les œuvres de Solène Rigou sont des refuges en elles-mêmes. De petits formats, -proches de ceux d’une icône -ses dessins aux crayons de couleur sur bois figurent essentiellement des mains. Ces mains, parlent et évoquent des souvenirs de moments du quotidien vécus par l’artiste. Des épiphanies de l’ordinaire, qui forment chez elle une collection de moments, où nous sommes comme naturellement en prise avec l’instant. Ces œuvres sont des refuges précieux où l’en dehors ne saurait jamais ternir la douceur de leurs lumières.
La série de peintures de Damien Cadio réussit la prouesse de nous situer au seuil de ces mondes. Il nous place à la frontière, au milieu des interférences. Une feuille de tôle prise dans des branchages, arrive par ses simples courbes et par les lignes de forces de la composition du tableau, à nous évoquer la porosité et la contamination de ces deux mondes. Les végétaux deviennent des vecteurs, le métal tordu un rythme infini, cyclique et soudainement c’est l’expression même des flux et des mouvements de nos mondes qui s’illustre. Les paysages, incendies et cieux de l’artiste sont, sous son pinceau, autant d’expressions de l’entre deux, de nos interactions avec nos environnements et des traces de notre passage.
Dans les peintures de Léopold Rabus, la nature qui nous colle à la peau. L’artiste se joue au travers de ses représentations, de la classification conventionnelle du vivant. Sa peinture est l’humus de nos vies. Elle donne forme à toutes choses avec la même matière et permet ainsi de créer des liens entre des mondes qui paraissent opposés. Avec ses oiseaux, ses tiques, c’est la nature qui se rappelle à nous. Cette nature qui nous agrippe, contre laquelle on s’écorche. C’est aussi ces sous-bois, ces champignons d’où naissent par enchantement des formes hybride nouvelles.
Enfin, Till Rabus, dans ses œuvres, lui, brouille les pistes entre le naturel et l’artificiel. Avec leur apparence de jouets, les éléments gonflables que l’artiste représente contrastent avec la gravité du cadre naturel dans lequel ils prennent place. Jouant des paradoxes, l’artiste nous place tour à tour dans un monde idéalisé, féérique et factice pour nous faire aussitôt basculer dans l’hostilité et la rudesse d’un milieu naturel représenté de manière réaliste. Ces items gonflables, comme des esprits, illustrent également le rapport distancié que nous entretenons avec notre environnement mais aussi les innombrables projections que l’on s’en fait.
L’exposition « Les refuges contraires » n’est donc ni une course d’orientation, ni une promenade bucolique entre les villes et les forêts, c’est plutôt un exercice libre de pensée et une invitation au partage du sensible. C’est un trajet vers l’entre deux, un arrêt dans les interférences de deux mondes si imbriqués et si interdépendants. Libre à vous de franchir la porte ou de rester au seuil, tous les chemins sont possibles. Les interprétations sont elles-mêmes des changements réels.
Vernissage : Samedi 15 mars à partir de 14h00
Télécharger le dossier d’exposition : ici
Galerie C - Paris 6 rue Chapon 75003 Paris France
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Les refuges contraires / the opposites shelters
Les Refuges Contraires brings together works by Damien Cadio, Solène Rigou, Léopold and Till Rabus and Gongmo Zhou. At the heart of this exhibition is a reflection on the places we inhabit, their ambivalence and interference. Confronting natural spaces and cities, questioning what makes a refuge or what provokes hostility, the works on show play with the representation of the environments that surround us, the bodies that occupy them, the fauna that inhabits them or the objects that populate them.
At first glance, nature here is not a peaceful haven, an idealized refuge: it can be threatening and chaotic. It disturbs and sometimes reveals a form of disquieting strangeness. Here, a dense forest, a fire, there an elusive fauna. There are parasites, humus that becomes a body... So many witnesses to a dark reality, where the human, who interferes, always seems to be in a precarious equilibrium. Opposite her, the city reveals itself in an unexpected light. Sometimes described as a brutal, oppressive urban jungle, it reveals here a more protective, intimate side, gently extinguishing the natural and the wild. The reassuring potential of the built environment is revealed, as is the shelter that the urban environment is capable of offering - both collectively and individually.
When we pay attention, inversions appear. By inviting us to re-evaluate our relationship with these environments, their boundaries and interfaces, the works reveal a certain porosity between them: multitudes of interweavings and assuetudes. The exhibition thus becomes an exercise in thought, an exploration in which reference points are reversed, and where each refuge may conceal its opposite. For the boundaries between these two worlds are permeable, and their interference constantly redefines our living spaces. Sometimes, nature intrudes, sweeps in, makes itself heard, anchors itself on the human and stings. At other times, humans invade landscapes, fragmenting wild territories and imposing their own rules. These encounters oscillate between harmony and destruction, resilience and degradation. Conversely, if the city can be a refuge, it can also be the scene of outbursts. Its apparent gentleness is betrayed, revealing the hostility inherent in its effervescence, in which humans sometimes express their most brutal facets.
Such paradoxes are contained in the artists' works and, according to our moods and dispositions, we are free to interpret them. These works, in their strength, maintain a form of dissensus - as a conflicting reconfiguration of the world - and allow us to question its configuration and obviousness.
In Gongmo Zhou's work, for example, depicting the reflections of passers-by in shop windows, doors and building facades, the idea of interface and border is central. Cities, thought out, standardized and built according to our rules, our scales and our histories, paradoxically plunge us into a form of anonymity. We pass through them, vaporous and troubled as these reflections, without leaving any trace, suspended between two worlds.
Solène Rigou's works are refuges in themselves. In small, icon-like formats, her colored pencil drawings on wood essentially feature hands. These hands speak and evoke memories of everyday moments experienced by the artist. These epiphanies of the ordinary form a collection of moments in which we are, as it were, naturally in touch with the moment. These works are precious refuges where the outside world can never dull the softness of their light.
Damien Cadio's series of paintings succeeds in placing us at the threshold of these worlds. He places us at the frontier, in the midst of interference. The simple curves of a sheet of metal caught in branches, and the lines of force of the painting's composition, evoke the porosity and contamination of these two worlds. The plants become vectors, the twisted metal an infinite, cyclical rhythm, and suddenly the very expression of the flows and movements of our worlds is illustrated. The artist's landscapes, fires and skies are, under his brush, expressions of the in-between, of our interactions with our environments and the traces of our passage.
In Léopold Rabus's paintings, nature sticks to our skin. Through his representations, the artist plays with the conventional classification of living things. His painting is the humus of our lives. She gives form to all things with the same material, creating links between worlds that appear to be opposites. With its birds and ticks, it's nature that reminds us. It's nature that grips us, that we skin ourselves against. It's also the undergrowth, the mushrooms from which new hybrid forms are born by enchantment.
Finally, Till Rabus's work blurs the line between the natural and the artificial. With their toy-like appearance, the inflatable elements the artist depicts contrast with the gravity of the natural setting in which they take their place. Playing with paradoxes, the artist alternately places us in an idealized, fairy-tale world, only to tip us over into the hostility and harshness of a realistically depicted natural environment. These inflatable items, like spirits, also illustrate the distant relationship we have with our environment, as well as the countless projections we make of it.
The “Les refuges contraires” exhibition is neither an orienteering race nor a bucolic stroll through towns and forests, but rather a free exercise in thought and an invitation to share our senses. It's a journey towards the in-between, a stop in the interference of two intertwined and interdependent worlds. It's up to you to step through the door, or to remain on the threshold: all paths are possible. Interpretations are themselves real changes.
Download the press release: : in coming
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