“Viktoriia Oreshko
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« Au sud un immense archange, noir comme le tonnerre, survenait du Pacifique. Et pourtant, après tout, l’orage contenait sa propre paix secrète... »
Malcolm Lowry, Au-dessous du volcan (1947)
Le récit de soi est un voyage complexe qui oscille entre nos souvenirs, partagé entre la mémoire et l’expérience collective. Dans ce périple, il est indispensable de fixer quelques amers afin de ne pas perdre le fil. Ils sont souvent les lieux de notre enfance, des archives de nous-mêmes et de nos proches. Ils sont aussi des événements, des récits que l’on partage en groupe ou à l’échelle d’une nation. Cette traversée artistique navigue sur les flots de nos pratiques du quotidien, elle laisse émerger un vécu, visite les grottes de nos mémoires, dépeint le tourbillon des grands récits dans lesquels nos existences sont, bon gré mal gré, embarquées.
La peinture de Viktoriia Oreshko se situe dans ce parcours aux vents multiples : celui de l’apprentissage, d’abord, à l’académie des Beaux-Arts de Lviv en Ukraine où elle se confronte à la peinture monumentale, au corps et à l’héritage soviétique. Elle s’y forme à la figuration académique puis s’en détache pour y revenir, désormais apaisée, aux Beaux-Arts de Paris. Cette époque, c’est celle de la rencontre avec les stigmates de grands récits totalitaires, aujourd’hui ravivés par la guerre. C’est celle qui lui permet de poser les jalons d’une pensée critique sur sa propre histoire et celle de son pays au travers de sa peinture, tout en voyageant loin pour ses études (Bordeaux, Montréal, Paris).
Puis, ce fut le temps de l’éclatement. L’âge d’une guerre, qui la tient éloignée de son pays et de ses proches. Une guerre qui est venue tout ébranler : comment continuer à se construire quand, chez soi, tout vole en éclat ? Il y a des chambres à soi qui disparaissent, des proches qui s’engagent, des souvenirs qui se floutent, des récits qui se brouillent, des voix qui s’éloignent. Faut-il continuer à peindre malgré tout ? Rien d’évident à cela, surtout les premiers mois du conflit. Face à l’urgence de la situation, et en raison du décalage entre sa réalité parisienne et celle de ses proches en Ukraine, l’acte de créer lui semblait, en effet, inapproprié. Et pourtant il lui fallait continuer de travailler et d’exister en tant qu’artiste. Un changement s’opère alors dans son travail : elle se met à utiliser sa peinture afin d’explorer, d’exprimer quelque chose qu’elle n’arrive pas à gérer autrement, auquel elle n’arrive à se confronter qu’en peinture. Également interprète dans l’audiovisuel, Viktoriia Oreshko, passe de longues heures à visionner des images, des films qu’elle traduit ensuite pour les médias français. Ajoutés aux récits de ses proches et à ses propres souvenirs, cette matière brute infuse dans son travail. Désormais plus long, il s’étend dans le temps avec minutie et se donne l’espace nécessaire pour exorciser cette réalité nouvelle.
Vient enfin le temps du retour, ce chemin vers Kyiv que l’artiste fait chaque mois d’août. Elle s’y rend pour retrouver ses proches et fêter son anniversaire. Là-bas, elle dort dans sa chambre d’enfant, chez ses parents, entourée du papier peint violet représenté mainte fois dans ses peintures. Avant de se coucher, elle entend les sirènes, les alarmes aériennes, le bruit d’explosions au loin. Elle observe le ciel et les lumières terrifiantes qui le traversent. Être à Kyiv lui fait percevoir la vie autrement : tout y est plus intense, plus réel. Chaque instant y semble chargé d’amour, de peur et d’émotions brutes. Pour Viktoriia Oreshko : « La guerre, avec son chaos, coexiste avec le quotidien d’une ville moderne que nous pensions autrefois paisible. Cela crée des situations surréalistes : un anniversaire devient le jour d’une tragédie, une visite chez l’esthéticienne se transforme en promenade sur un chemin miné. On apprend à manier un fusil lors de stages de tir avec des militaires, pour ensuite aller faire du shopping dans un centre commercial. La peur de la mort et le bonheur intense se côtoient en permanence. Ce contraste saisissant, cette absurdité de la violence coexistant avec le quotidien, sont au cœur de ce que j’essaie de retranscrire dans mes peintures. »
Ainsi, chaque mois d’août elle photographie et documente ces moments, et depuis trois ans, ses peintures ne se consacrent qu’à ses fragments d’août à Kyiv. Des instants vécus, des visions si précieuses qu’elle cherche à les conserver à tout prix. Ses peintures ont ce voile mélancolique qui teinte les souvenirs. La touche maitrisée est fine, légère et évanescente. Elle évoque à la fois la fragilité de ces bribes de mémoire et le commun de ces scènes quotidiennes. Souvent, ses compositions évacuent la figure humaine ou alors la représente par des brisures, car la porte d’entrée d’un souvenir s’ouvre souvent avec un détail. Ici un bijou, un bouquet, un papier peint, un cœur de pacotille qui revient sans cesse et autant de petits objets innocents qui se chargent d’un sens symbolique grâce au sous-texte de ses œuvres. Il y a dans la peinture de Viktoriia Oreshko ce talent de faire émerger un contexte déchirant dans la douceur d’une chaise vide, d’une nature morte, d’un miroir de chambre. Dans ses œuvres la peinture ne s’épaissit pas elle est murement réfléchie, intégrée, dirigée pour toucher au sensible. Un épiderme pictural si fin qu’il laisse entrevoir en transparence l’anatomie de ces histoires. Dans ses toiles tout semble caché et tu, mais paradoxalement visible et audible. Parfois, le sujet est plus équivoque : une arme, une douille, un obus de mortier et soudainement l’instant ressurgit avec toute sa force et sa violence et nous ramène à cette réalité crue.
Observer les œuvres de Viktoriia Oreshko, c’est devenir le témoin de la vie d’une jeune artiste mais, surtout, c’est faire l’expérience du temps. Le temps relatif des souvenirs, celui nécessaire à l’acte de peindre, celui de l’actualité d’un conflit qui s’étend dans la durée et celui universel de nos existences. Il est enfin, le temps des promesses : de celles qui, malgré les affres de l’histoire, nous prouvent que la vie perdure et nous confortent à croire en l’avenir.
Exposition du 30.01.2025 au 01.03.2025
Vernissage : Jeudi 30 janvier 2025 à partir de 17h
Télécharger le dossier d’exposition : ici
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English version
« To the south an immense archangel, black as thunder, beat up from the Pacific. And yet, after all, the storm contained its own secret calm »
Malcolm Lowry, Under the Volcano (1947)
Self-accounting is a complex journey that oscillates between our memories and our collective experience. In this journey, it is essential to fix a few landmarks so as not to lose the thread. They are often places from our childhood, archives of ourselves and our loved ones. They are also events, stories shared by a group or a nation. This artistic journey sails on the waves of our everyday practices, revealing our experiences, visiting the caves of our memories, and depicting the whirlwind of the great narratives in which our lives are willy-nilly embarked.
Viktoriia Oreshko’s painting is part of this multi-faceted journey: firstly, her apprenticeship at the Academy of Fine Arts in Lviv, Ukraine, where she came face to face with monumental painting, the body and the Soviet legacy. There she trained in academic figuration, before breaking away and returning, now at peace, to the Beaux-Arts in Paris. This was the period when she encountered the stigma of the great totalitarian narratives, now revived by the war. It was a time when he laid the foundations for critical thinking about his own history and that of his country through his painting, while travelling far and wide for his studies (Bordeaux, Montreal, Paris).
Then came the time of bursting. The age of war, which kept her away from her country and her loved ones. A war that shook everything up: how can you continue to build when everything at home is shattered? Rooms of one’s own disappear, loved ones become involved, memories blur, narratives blur, voices drift away. Should we continue to paint in spite of everything? There’s nothing obvious about that, especially in the early months of the conflict. Given the urgency of the situation, and the gap between his Parisian reality and that of his relatives in Ukraine, the act of creating seemed inappropriate. And yet he had to continue working and existing as an artist. A change then occurred in her work: she began to use her paint to explore and express something she couldn’t manage otherwise, something she could only confront in painting. Viktoriia Oreshko is also an audiovisual interpreter who spends long hours watching images and films, which she then translates for the French media. Added to the stories of her family and friends and her own memories, this raw material infuses her work. Now longer, it extends over time with meticulousness and gives itself the space it needs to exorcise this new reality.
Finally comes the time to return, the journey to Kyiv that the artist makes every August. She goes there to see her family and friends and celebrate her birthday. There, she sleeps in her childhood bedroom, in her parents’ home, surrounded by the purple wallpaper that has featured so many times in her paintings. Before going to bed, she hears sirens, air raid alarms and the sound of explosions in the distance. She observes the sky and the terrifying lights that pierce it. Being in Kyiv makes her perceive life differently: everything is more intense, more real. Every moment seems charged with love, fear and raw emotion. For Viktoriia Oreshko ‘ War, with all its chaos, coexists with the everyday life of a modern city that we once thought was peaceful. This creates surreal situations – a birthday becomes the day of a tragedy, a visit to the beautician turns into a walk along the minefield. We learn to handle a rifle in shooting courses with the military, and then go shopping in a mall. The fear of death and intense happiness are in constant contact. This striking contrast, this absurdity of violence coexisting with everyday life, is at the heart of what I try to convey in my paintings.’
So every August she photographs and documents these moments, and for the last three years her paintings have been devoted solely to her fragments of August in Kyiv. Moments she has lived, visions so precious that she seeks to preserve them at all costs. Her paintings have that melancholy veil that tints memories. Her masterful brushstrokes are fine, light and evanescent. It evokes both the fragility of these snatches of memory and the commonality of these everyday scenes. Her compositions often evacuate the human figure, or represent it in fragments, because the doorway to a memory often opens with a detail. Here, a piece of jewellery, a bouquet, a piece of wallpaper, a junk heart that comes back again and again - so many innocent little objects that take on a symbolic meaning thanks to the subtext of his works. Viktoriia Oreshko’s painting has a talent for bringing out a heart-rending context in the softness of an empty chair, a still life or a bedroom mirror. In her works, the paint doesn’t thicken, but is carefully thought through, integrated and directed to touch the senses. A pictorial epidermis so thin that it allows a transparent glimpse of the anatomy of these stories. In her canvases, everything seems hidden and silent, but paradoxically visible and audible. Sometimes the subject is more equivocal: a weapon, a shell casing, a mortar shell, and suddenly the moment reappears with all its force and violence, bringing us back to this raw reality.
To look at Viktoriia Oreshko’s work is to witness the life of a young artist, but above all it is to experience time – the relative time of memories, the time necessary for the act of painting, the time of the actuality of a conflict that extends over time and the universal time of our lives. Lastly, it is the time of promises, those which, despite the trials and tribulations of history, prove to us that life endures and encourage us to believe in the future.
Exhibition from the January 30th to March 1st, 2025
Opening : Thursday, January 30th, 2025 from 5pm
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