Galerie C
Neuchâtel
Paris
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In the Land of my Heart 30.01.25-01.03.25

Viktoriia Oreshko


 



« Au sud un immense archange, noir comme le tonnerre, survenait du Pacifique. Et pourtant, après tout, l’orage contenait sa propre paix secrète... »

Malcolm Lowry, Au-dessous du volcan (1947)

Le récit de soi est un voyage complexe qui oscille entre nos souvenirs, partagé entre la mémoire et l’expérience collective. Dans ce périple, il est indispensable de fixer quelques amers afin de ne pas perdre le fil. Ils sont souvent les lieux de notre enfance, des archives de nous-mêmes et de nos proches. Ils sont aussi des événements, des récits que l’on partage en groupe ou à l’échelle d’une nation. Cette traversée artistique navigue sur les flots de nos pratiques du quotidien, elle laisse émerger un vécu, visite les grottes de nos mémoires, dépeint le tourbillon des grands récits dans lesquels nos existences sont, bon gré mal gré, embarquées.

La peinture de Viktoriia Oreshko se situe dans ce parcours aux vents multiples : celui de l’apprentissage, d’abord, à l’académie des Beaux-Arts de Lviv en Ukraine où elle se confronte à la peinture monumentale, au corps et à l’héritage soviétique. Elle s’y forme à la figuration académique puis s’en détache pour y revenir, désormais apaisée, aux Beaux-Arts de Paris. Cette époque, c’est celle de la rencontre avec les stigmates de grands récits totalitaires, aujourd’hui ravivés par la guerre. C’est celle qui lui permet de poser les jalons d’une pensée critique sur sa propre histoire et celle de son pays au travers de sa peinture, tout en voyageant loin pour ses études (Bordeaux, Montréal, Paris).

Puis, ce fut le temps de l’éclatement. L’âge d’une guerre, qui la tient éloignée de son pays et de ses proches. Une guerre qui est venue tout ébranler : comment continuer à se construire quand, chez soi, tout vole en éclat ? Il y a des chambres à soi qui disparaissent, des proches qui s’engagent, des souvenirs qui se floutent, des récits qui se brouillent, des voix qui s’éloignent. Faut-il continuer à peindre malgré tout ? Rien d’évident à cela, surtout les premiers mois du conflit. Face à l’urgence de la situation, et en raison du décalage entre sa réalité parisienne et celle de ses proches en Ukraine, l’acte de créer lui semblait, en effet, inapproprié. Et pourtant il lui fallait continuer de travailler et d’exister en tant qu’artiste. Un changement s’opère alors dans son travail : elle se met à utiliser sa peinture afin d’explorer, d’exprimer quelque chose qu’elle n’arrive pas à gérer autrement, auquel elle n’arrive à se confronter qu’en peinture. Également interprète dans l’audiovisuel, Viktoriia Oreshko, passe de longues heures à visionner des images, des films qu’elle traduit ensuite pour les médias français. Ajoutés aux récits de ses proches et à ses propres souvenirs, cette matière brute infuse dans son travail. Désormais plus long, il s’étend dans le temps avec minutie et se donne l’espace nécessaire pour exorciser cette réalité nouvelle.

Vient enfin le temps du retour, ce chemin vers Kyiv que l’artiste fait chaque mois d’août. Elle s’y rend pour retrouver ses proches et fêter son anniversaire. Là-bas, elle dort dans sa chambre d’enfant, chez ses parents, entourée du papier peint violet représenté mainte fois dans ses peintures. Avant de se coucher, elle entend les sirènes, les alarmes aériennes, le bruit d’explosions au loin. Elle observe le ciel et les lumières terrifiantes qui le traversent. Être à Kyiv lui fait percevoir la vie autrement : tout y est plus intense, plus réel. Chaque instant y semble chargé d’amour, de peur et d’émotions brutes. Pour Viktoriia Oreshko : « La guerre, avec son chaos, coexiste avec le quotidien d’une ville moderne que nous pensions autrefois paisible. Cela crée des situations surréalistes : un anniversaire devient le jour d’une tragédie, une visite chez l’esthéticienne se transforme en promenade sur un chemin miné. On apprend à manier un fusil lors de stages de tir avec des militaires, pour ensuite aller faire du shopping dans un centre commercial. La peur de la mort et le bonheur intense se côtoient en permanence. Ce contraste saisissant, cette absurdité de la violence coexistant avec le quotidien, sont au cœur de ce que j’essaie de retranscrire dans mes peintures. »

Ainsi, chaque mois d’août elle photographie et documente ces moments, et depuis trois ans, ses peintures ne se consacrent qu’à ses fragments d’août à Kyiv. Des instants vécus, des visions si précieuses qu’elle cherche à les conserver à tout prix. Ses peintures ont ce voile mélancolique qui teinte les souvenirs. La touche maitrisée est fine, légère et évanescente. Elle évoque à la fois la fragilité de ces bribes de mémoire et le commun de ces scènes quotidiennes. Souvent, ses compositions évacuent la figure humaine ou alors la représente par des brisures, car la porte d’entrée d’un souvenir s’ouvre souvent avec un détail. Ici un bijou, un bouquet, un papier peint, un cœur de pacotille qui revient sans cesse et autant de petits objets innocents qui se chargent d’un sens symbolique grâce au sous-texte de ses œuvres. Il y a dans la peinture de Viktoriia Oreshko ce talent de faire émerger un contexte déchirant dans la douceur d’une chaise vide, d’une nature morte, d’un miroir de chambre. Dans ses œuvres la peinture ne s’épaissit pas elle est murement réfléchie, intégrée, dirigée pour toucher au sensible. Un épiderme pictural si fin qu’il laisse entrevoir en transparence l’anatomie de ces histoires. Dans ses toiles tout semble caché et tu, mais paradoxalement visible et audible. Parfois, le sujet est plus équivoque : une arme, une douille, un obus de mortier et soudainement l’instant ressurgit avec toute sa force et sa violence et nous ramène à cette réalité crue.

Observer les œuvres de Viktoriia Oreshko, c’est devenir le témoin de la vie d’une jeune artiste mais, surtout, c’est faire l’expérience du temps. Le temps relatif des souvenirs, celui nécessaire à l’acte de peindre, celui de l’actualité d’un conflit qui s’étend dans la durée et celui universel de nos existences. Il est enfin, le temps des promesses : de celles qui, malgré les affres de l’histoire, nous prouvent que la vie perdure et nous confortent à croire en l’avenir.

Exposition du 30.01.2025 au 01.03.2025

Vernissage : Jeudi 30 janvier 2025 à partir de 17h

Télécharger le dossier d’exposition : ici

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