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« Ce qu’il s’agit d’interroger, c’est la brique, le béton, le verre, nos manières de table, nos ustensiles, nos outils, nos emplois du temps, nos rythmes. Interroger ce qui semble avoir cessé à jamais de nous étonner ».
Georges Perec
Nonchalamment posée sur une cuisse drapée dans une robe à carreaux, une main aux ongles discrètement vernis est doublement baguée sur le majeur. Les replis tortueux de la tunique froissée accompagnent notre regard en quête de signification : ce fragment de corps, à qui appartient-il ? L’arrière-plan, où des bribes d’indices sont distillés, donne à notre œil interrogateur une première sensation de satiété. La scène se déroule dans une brasserie : un pied de table et un tabouret typique de café nous permettent de l’affirmer. Et après ? C’est une fois l’irrésolution de l’énigme et nos piètres qualités de détective constatées que tout s’éclaire. Au-delà des scènes qu’elle dessine, Solène Rigou agit comme une chercheuse. Une chercheuse du quotidien. A l’instar de Georges Perec, elle « interroge l’habituel » et parle, crayons de couleur à la main, des « choses communes » de la vie. La première gorgée de bière en terrasse de café, les fruits que l’on soupèse avant d’en intégrer les morceaux à une salade, la fanfare croisée au détour d’une promenade sont autant de sujets qu’elle place au cœur de sa pratique minutieuse.
Car son entourage ne le soupçonne pas toujours, mais Solène Rigou scrute tout et vole secrètement ces instants de vie en les photographiant. Profondément nostalgique, elle peut passer de longues heures à poncer ses souvenirs recadrés. A restituer, couche par couche, les mains de celles et ceux qui partagent son quotidien, les détails de ces moments volatiles, ceux que l’on ignore, sur lesquels on n’a pas l’habitude de placer la focale. « On ne voit que ce qu’on regarde », assurait Maurice Merleau-Ponty dans l’Œil et l’Esprit. Et de fait, Solène Rigou nous force la main, emprisonne notre œil au cœur d’une scène banale et fait glisser la vie ordinaire vers l’art.
« Elle a un œil dans la vie, l’autre dans le rêve », nous dit-on au détour d’une conversation. Touché. Dans les tableaux de la jeune artiste, le quotidien se pare d’onirisme : si Solène Rigou travaille à partir de photographies, ces scènes délicatement crayonnées sont-elles fidèles à la réalité ? L’imaginaire se loge-t-il dans un coin du tableau, là où s’émancipe un parterre de fleurs roses ? La poésie s’amarre-t-elle dans l’éparpillement de coquilles de noix vidées de leur fruit ? Les souvenirs de Solène Rigou sont-ils aussi nets que leur retranscription sur ces planches de bois ? C’est certainement là, dans les interrogations que l’observation de ses œuvres soulèvent, que réside toute la force du travail de Solène Rigou. Nous y sommes baladés, de certitudes en incertitudes et finalement, se demande-t-on, ces bribes de souvenirs sur bois, ne sont-ils pas un peu les nôtres aussi ?
« Les souvenirs sont cors de chasse dont meurt le bruit parmi le vent ». Guillaume Apollinaire savait : les souvenirs sont des mouvements perpétuels, des deuils à l’infini. Et Solène Rigou, elle, s’essaie à fixer la mémoire de ce qui lui arrive. Elle s’échine à transposer l’éphémère afin de soigner sa nostalgie du révolu et passe des journées entières à produire ses dessins, comme une consolation. Le format de ses tableaux, souvent petit, nous permet de prendre ces moments du quotidien au creux de nos mains. En plus de scènes de vie, ils deviennent des amulettes qui nous aussi, nous soignent et nous consolent.
Texte par Marine Vazzoler
Premier solo show de l’artiste Solène Rigou à la Galerie C-Paris
Vernissage : jeudi 09 mars 2023, 17h-21h
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"What we need to question is the brick, the concrete, the glass, our table manners, our utensils, our tools, our schedules, our rhythms. Questioning what seems to have ceased to amaze us forever."
Georges Perec
Nonchalantly resting on a thigh draped in a checked dress, a hand with discreetly varnished nails is double ringed on the middle finger. The tortuous folds of the crumpled tunic accompany our gaze in search of meaning: this body fragment, whose is it? The background, where bits of clues are distilled, gives our questioning eye a first sensation of satisfaction. The scene takes place in a brasserie: a table leg and a typical café stool allow us to confirm this. What happens next? Once the mystery has been solved and our poor detective skills have been noted, everything becomes clear. Beyond the scenes she draws, Solène Rigou acts like a researcher. A researcher of everyday life. Like Georges Perec, she "questions the usual" and talks, coloured pencils in hand, about the "common things" of life. The first sip of beer on a café terrace, the fruit that is weighed before adding it to a salad, the brass band we come across on a walk are all subjects that she places at the heart of her meticulous practice.
Because those around her don't always suspect it, but Solène Rigou scans everything and secretly steals these moments of life by photographing them. Deeply nostalgic, she can spend long hours sanding down her cropped memories. Restoring, layer by layer, the hands of those who share her daily life, the details of these volatile moments, those that we ignore, on which we are not used to placing the focus. "We only see what we look at", said Maurice Merleau-Ponty in L’Oeil et l’Esprit. And indeed, Solène Rigou forces our hand, imprisons our eye in the heart of a banal scene and makes ordinary life slide into art.
"She has one eye on life, the other on dreams", we are told in a conversation. Touched. In the paintings of this young artist, everyday life is adorned with dreamlike qualities: if Solène Rigou works from photographs, are these delicately pencilled scenes faithful to reality? Does the imagination lodge itself in a corner of the painting, where a bed of pink flowers emanates? Is the poetry moored in the scattering of walnut shells emptied of their fruit? Are Solène Rigou's memories as clear as their transcription on these wooden boards? The strength of Solène Rigou's work certainly lies in the questions raised by the observation of her works. We are taken for a ride, from certainty to uncertainty, and in the end, we ask ourselves, aren't these snippets of memories on wood a bit ours too?
"Memories are hunting horns whose sound dies in the wind”. Guillaume Apollinaire knew: memories are perpetual movements, infinite mourning. And Solène Rigou tries to fix the memory of what happens to her. She struggles to transpose the ephemeral in order to cure her nostalgia for the past and spends whole days producing her drawings, as a consolation. The format of her paintings, often small, allows us to hold these everyday moments in our hands. In addition to scenes of life, they become amulets that also heal and console us.
Text by Marine Vazzoler
Habiter l’ordinaire
Solène Rigou’s first solo show at Galerie C-Paris.
Opening: Thursday, March 9 2023 from 5 to 9pm
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