Galerie C
Neuchâtel
Paris
deux présences - moyen format.jpg

Ce trouble infini qui est le corps 06.03-18-04.25

Eva Ayache-Vanderhorst
Mathieu Dufois
Sophie Jodoin
Eric Manigaud
Sandrine Pelletier
Françoise Pétrovitch
Gongmo Zhou
 
 


Ton corps, matière pétrissable
porte les traces des gestes qui t’ont dessinée
des relations qui t’ont façonnée
du temps. Implacable

Il est ce paysage que tu dois entretenir
il t’expose autant que tu l’exposes
jugement, approbation, désapprobation
il t’es imposé ; tu dois t’y adapter 1

Depuis toujours, la représentation du corps occupe une place centrale dans les réflexions artistiques. Longtemps considéré comme l’un des sujets les plus complexes à figurer, le corps humain traverse l’histoire de l’art sous de vastes formes, témoignant d’un besoin universel d’(auto)représentation. De la mythologie à la religion et l’histoire, en passant par l’étude anatomique, l’humain a toujours affirmé sa place dans le monde par sa propre représentation. A la fois outil de travail et intermédiaire dans le geste artistique, le corps fascine autant qu’il interroge. Il a été tant représenté, exhibé, défiguré, performé, occulté, qu’il a fallu en déconstruire sa vision, pour réussir à s’en réapproprier et enfin s’en mettre à distance de nouveau. Sujet vaste et mouvant, le rapport au corps n’existe pas sans le biais du regard, de la culture, de la société et des moeurs qui l’accompagnent. Il n’est donc pas étonnant que la représentation de soi trouble autant les artistes. Comme l’exprime Nicolas Bouvier, «Le corps, est pour le meilleur et pour le pire, l’image du monde»2 : il est tout autant sujet, que support, matière, interface et médium. Notre propre perception du corps – le nôtre comme celui des autres – évolue sans cesse, façonnée par des codes esthétiques en perpétuelle redéfinition. Médiateur entre l’intime et le monde extérieur, il est à la fois symbole de libre arbitre et en même temps une enveloppe de laquelle on sera toujours captif·ve. C’est peut-être là toute la frustration : un espace de liberté contraint, un lieu d’expression et de transformation qu’il faut sans cesse interroger. Ainsi, comme une obsession, (se) représenter, soi et les autres, induit un jeu d’identification et de mise en scène autant rassurant que troublant.

Pour Eva Ayache Vanderhorst, représenter le corps revient à lutter contre l’oubli. L’artiste retient sur ses toiles les souvenirs fugaces qu’elle se remémore, considérant le corps comme une vecteur d’expériences et un réceptacle de mémoire. Elle navigue entre visible et invisbile, présence et absence - des éléments qui construisent notre rapport à l’existence et à vivre en société, entre désir d’appartenance et besoin de s’en extraire. Mathieu Dufois joue avec les codes du cinéma et du film d’animation pour mettre ses corps en mouvement. Il donne à voir une vision énigmatique du corps qui vient troubler le spectateur·trice. Il s’agit très souvent d’une présence fantômatique, qui hante la composition. Ses personnages surgissent de l’ombre et prennent matière et forme, sous le trait avisé de son dessin à la pierre noire. Françoise Pétrovitch place également le corps au centre de son œuvre dessinée. Entre les blancs, la réserve de papier, et d’immenses lavis de couleur, des grandes silhouettes prennent corps. Ces figures d’adolescent·es semblent flotter entre matérialité et disparition, leur présence quasi liquide laissant place à un sentiment de suspension et d’errance. Eric Manigaud pose un regard sur le corps meurtri, souffrant, marqué par le travail ou la maladie - une réalité sur laquelle nous avons l’habitude de détourner le regard. À travers des dessins minutieux réalisés au crayon, il restitue des images du passé, souvent empreintes de violence et de douleur, rendant visible ce que la mémoire tend à effacer. Dans le même sens, Sandrine Pelletier propose une réflexion sur la dégradation inéluctable du corps et de l’esprit. L’artiste retranscrit ses entretiens intimes avec une personne de son entourage, touchée par une maladie dégénérative. Les mots gravés, utilisés pour l’évaluation de la mémoire lors de poses de diagnostiques de maladies comme l’Alzheimer ou la sclérose en plaque, deviennent témoins du lien, inconciliable, entre corps et esprit dans l’évolution de ce type de maladies. Pelletier investigue également la notion de corps «décharné», l’enveloppe charnelle devenant avec l’âge et la maladie, une charge trop lourde à porter. Sophie Jodoin quant à elle explore avec sensibilité le corps féminin, qui devient à la fois réceptacle de l’expérience et témoin des blessures et cicatrices vécues, et son rapport à la vulnérabilité et à l’intimité. Les corps fragmentés de l’artiste, à peine perceptibles, se réduisent parfois à de simples empreintes, évoquant les expériences physiques et corporelles du corps féminin, ses failles. Gongmo Zhou lui, explore la médiation du corps à travers les interfaces numériques et les écrans. Conscient que son rapport au corps est filtré par les technologies dans ses relations sociales quotidiennes, il interroge cette perception médiatisée de l’être humain. L’artiste matérialise cette tension dans sa représentation de l’interface réflechissante - une vitre, une porte, un écran - et l’image du corps réfléchi. Cette présence de l’interface trouble le rapport immédiat au corps et la connection entre deux mondes, le virtuel et le réel.

Ainsi, à travers les œuvres de ces artistes, le corps se révèle dans toute sa complexité : présence ou absence, mémoire ou oubli, matérialité ou effacement. Chaque pratique questionne notre rapport à cette enveloppe charnelle qui, bien que tangible, demeure insaisissable dans sa représentation. Cette exposition invite à repenser le corps - dans sa conception intime et commune - non seulement comme un sujet artistique ou une simple forme, mais aussi comme un territoire en perpétuelle mutation, constamment redéfini par le regard, la mémoire et la technologie.


 



Jeudi 06.03.2025, de 18h à 20h - Vernissage
Mercredi 19.03.2025, à 18h - Visite guidée de l’exposition en partenariat avec la Société des Amis des Arts



Pour télécharger le de presse : ici



 




1. Sophie Jodoin, extrait de son poème «TU», in «Room(s) to move : je, tu, elle», éd. par Sophie Jodoin, EXPRESSION, Centre d’exposition de Saint-Hyacinthe, MacLaren Art Center, Musée d’art contemporain des Laurentides, 2021.

2. Starobinski P., «Le Corps, miroir du monde. Voyage dans le musée imaginaire de Nicolas Bouvier», Carouge-Genève, Zoé, 2000, pp. 6-7.























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Ton corps, matière pétrissable
porte les traces des gestes qui t’ont dessinée
des relations qui t’ont façonnée
du temps. Implacable

Il est ce paysage que tu dois entretenir
il t’expose autant que tu l’exposes
jugement, approbation, désapprobation
il t’es imposé ; tu dois t’y adapter 1




The representation of the body has always played a central role in artistic thinking. Long considered one of the most complex subjects to depict, the human body has traversed the history of art in a wide variety of forms, reflecting a universal need for (self)representation. From mythology to anatomy to religion and history, the human body has always asserted its place in the world through its own representation. Both a working tool and an intermediary in the artistic gesture, the body fascinates as much as it questions. It has been so often represented, exhibited, disfigured, performed and obscured that we have had to deconstruct our vision of it in order to reappropriate it and finally distance ourselves from it once again. A vast and shifting subject, the relationship with the body cannot exist without the gaze, culture, society and mores that accompany it. So it's hardly surprising that artists are so troubled by the representation of the self. As Nicolas Bouvier puts it, ‘The body, for better or for worse, is the image of the world’2: it is as much subject as support, material, interface and medium. Our own perception of the body - our own and that of others - is constantly evolving, shaped by aesthetic codes that are constantly being redefined.A mediator between the intimate and the external world, it is both a symbol of free will and an envelope from which we will always be captivated. Perhaps that's where the frustration lies: a constrained space of freedom, a place of expression and transformation that must be constantly questioned. So, like an obsession, representing ourselves and others leads to a game of identification and staging that is as reassuring as it is troubling.

For Eva Ayache Vanderhorst, representing the body is like fighting against oblivion. On her canvases, the artist retains the fleeting memories she recalls, seeing the body as a vector of experience and a receptacle of memory. She navigates between the visible and the invisible, presence and absence - elements that shape our relationship to existence and to living in society, between the desire to belong and the need to escape. Mathieu Dufois plays with the codes of cinema and animated film to set his bodies in motion. He presents an enigmatic vision of the body that confuses the viewer. Very often it is a ghostly presence that haunts the composition. His figures emerge from the shadows and take on substance and form under the skilful strokes of his black stone drawings. Françoise Pétrovitch also places the body at the centre of her drawings. Between the whites, the paper reserves and the immense washes of colour, large silhouettes take shape. These adolescent figures seem to float between materiality and disappearance, their almost liquid presence giving way to a feeling of suspension and wandering. Eric Manigaud takes a look at the battered, suffering body, marked by work or illness - a reality we are used to looking away from. Through meticulous pencil drawings, he recreates images from the past, often marked by violence and pain, making visible what memory tends to erase. In the same vein, Sandrine Pelletier reflects on the inevitable degradation of body and mind. The artist transcribes her intimate conversations with a relative affected by a degenerative disease. The engraved words, used to assess memory when diagnosing diseases such as Alzheimer's or multiple sclerosis, become witnesses to the irreconcilable link between body and mind in the evolution of this type of illness. Pelletier also investigates the notion of the ‘emaciated’ body, the carnal envelope becoming too heavy a burden to bear with age and illness. Sophie Jodoin sensitively explores the female body, which becomes both a receptacle for experience and a witness to the wounds and scars it has suffered, and its relationship to vulnerability and intimacy. The artist's fragmented bodies, barely perceptible, are sometimes reduced to simple imprints, evoking the physical and bodily experiences of the female body and its flaws. Gongmo Zhou explores the mediation of the body through digital interfaces and screens. Aware that his relationship with the body is filtered through technologies in his everyday social relations, he questions this mediated perception of the human being. The artist materialises this tension in his representation of the reflective interface - a pane of glass, a door, a screen - and the image of the reflected body. The presence of the interface disturbs the immediate relationship with the body and the connection between two worlds, the virtual and the real. Through the works of these artists, the body is revealed in all its complexity: presence or absence, memory or oblivion, materiality or erasure.

Each practice questions our relationship with this carnal envelope which, although tangible, remains elusive in its representation.This exhibition invites us to rethink the body - in its intimate and communal conception - not just as an artistic subject or a simple form, but as a territory in perpetual mutation, constantly redefined by the gaze, memory and technology.




 


Thursday 06.03.2025, 6-8pm - Opening
Wednesday 19.03.2025, 6pm - Guided tour of the exhibition in partnership with the Société des Amis des Arts

To download the press kit : here


 

1. Sophie Jodoin, extract from the poem «TU», in «Room(s) to move : je, tu, elle», ed. by Sophie Jodoin, EXPRESSION, Centre d’exposition de Saint-Hyacinthe, MacLaren Art Center, Musée d’art contemporain des Laurentides, 2021.

2. Starobinski P., «Le Corps, miroir du monde. Voyage dans le musée imaginaire de Nicolas Bouvier», Carouge-Genève, Zoé, 2000, pp. 6-7.

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