Vous aurez beau m’écrire dans vos livres d’histoire,
Tordre d’amers mensonges la vérité,
Vous aurez beau m’écraser dans la boue,
Comme la poussière, toujours je me soulèverai.
C’est mon impertinence qui vous perturbe ?
Pourquoi cette détresse dans vos regards ?
Je sais pourquoi. J’avance comme si j’avais
Un puits de pétrole dans mon placard.
Comme les lunes, comme certains soleils,
Avec la certitude des marées,
Comme l’espérance qui jaillit jusqu’au ciel,
Toujours je me soulèverai.
Vous aurez voulu me voir dévastée ?
Tête penchée, les yeux baissés,
Les épaules tombantes comme des larmes,
L’âme sanglotant, affaissée ?
Ne vous inquiétez pas, ce n’est rien,
Je sais pourquoi. Je ris comme si j’avais
Des mines d’or au fond de mon jardin.
Fusillez-moi de mots,
Laissez vos regards me trancher,
Vos haines me tuer.
Comme le vent, toujours je me soulèverai.
Je suis sexy. C’est ça qui vous perturbe ?
C’est une surprise
Quand je danse comme si j’avais des diamants
Entre les cuisses ?
Je sors des huttes de la honte de l’histoire
Je me soulève
De ce passé planté dans la souffrance,
Je me soulève
Je suis l’océan noir, bondissant, élancé,
Là où ça enfle et gonfle je force les marées
Laissant derrière des nuits d’effroi et de terreur
Je me soulève
Vers une aurore merveilleuse limpide
Je me soulève
Apportant les cadeaux confiés par mes ancêtres
Je suis le rêve et l’espoir de l’esclave
Je me soulève
Je me soulève
Je me soulève.
(Maya Angelou, «Toujours je me soulèverai (Still I rise)», extrait du recueil And Still I rise: A Book of Poems, Random House, 1978. Trad. de l’anglais (US) par Clémentine Beauvais ©la ville brûle 2021.)
Les restrictions de libertés - n’existant déjà pas au même niveau au sein des différentes géographies -, viennent frapper à nos portes de façon insinueuse depuis des mois.
Prenez le temps de vous imaginer vivre dans un monde où votre droit à disposer de votre corps n’est pas garanti, le droit de choisir d’avoir un enfant aboli, où vous avez peur de marcher seul-e la nuit, où l’on menace de vous ôter votre utérus à 30 ans pour vous pousser à participer au développement démographique, où vous êtes tuée parce que femme, où vous ne pouvez pas sortir sans accompagnateur, vous n’êtes pas libre de dire et penser, vous n’avez pas le droit de danser et de rire. De rire.
Maintenant rendez-vous compte qu’il ne s’agit pas d’une projection, d’un monde imaginaire, mais bien du leur, du nôtre et du vôtre.
Privilégié-es derrière notre écran, nous n’avons pu qu’admirer la force et l’immense courage de cette jeune étudiante iranienne, Ahou Daryaei, qui manifestait en sous-vêtements devant l’Université de Téhéran il y a quelques semaines. Un frisson de fierté, de peur - pour son sort -, de colère et de sororité a parcouru le monde ce jour-là.
Comment avancer, alors ? Que faire à notre si petit niveau, et depuis cet espace protégé dans lequel nous vivons ?
Pour notre part, nous cherchons réconfort du côté des artistes, qui souvent sont aux premières lignes de ces combats sociaux. Le poème de Maya Angelou, qui date déjà de 1978, ne résonne que trop bien avec l’actualité :
Malgré les interdictions, les menaces, l’emprisonnement, la mort même, qu’encourent les femmes, elles se soulèvent. Toujours.
Quatre photographes nous font l’honneur de montrer ce que l’on ne veut pas ou plus voir. Elles osent être à la limite, montrer une face cachée, ce qu’on ose plus dire qu’à peine, chuchoter parfois, voire même penser.
Maude Arsenault nous montre le corps féminin. Trop souvent sexualisé par le regard masculin dans l’histoire de l’art, le «male gaze» est ici transformé. Le corps, frontal, l’organe génital, brut est dénué de sensualité, ou peut-être au contraire, est-il augmenté d’une sensualité revendiquée ? L’artiste redonne au sujet féminin sa subjectivité et son autodétermination, une façon de s’approprier son corps et son image. Des parties du corps qu’on n’ose pas montrer, vous font-elles peur ?
- C’est mon impertinence qui vous perturbe ?
Les portraits d’Alexandra Catiere paraissent intemporels. De la Biélorussie, à la France, en passant par les Etats-Unis, elle cherche à transcrire dans ses photographies une sorte d’universel. Des sensations, des émotions qui nous relient toutes et tous. Son appareil photo devient l’outil qui transcrit l’empathie de ses sujets. La douleur, la tristesse, la mort sont des thèmes qui sont abordés dans son travail sans filtre, de manière sensible et authentique.
Les oeuvres de Sara Kontar et Katherine Turczan partagent une volonté de rendre visible les invisibles, en témoignant des conséquences intimes des bouleversements politiques et historiques et en capturant la résilience des communautés marginalisées.
Sara Kontar documente la vie de femmes syriennes en exil, qui ont fui la guerre. Arrachées à leurs patries, ces femmes recréent une communauté, un «chez soi» loin de leur maison, en ritualisant symboliquement le fait de se couper les cheveux. Les seules mains en qui elles ont confiance sont celles de leurs «soeurs». Par ce geste, elles délèstent un tout petit peu de poids, de souffrance, en signe de nouveau départ. Ces femmes invisibles dans notre société, à qui Sara donne un visage, prennent soin les unes des autres, en recréent une forme de vivre ensemble et une bienveillance qui leur a été niée.
Katherine Turczan, quant à elle, capture avec une senbilité poignante la jeunesse ukrainienne des années 1991 à 2008. Après Tchernobyl et la chute de l’Union soviétique, l’artiste photographie des enfants, des femmes et des adolescentes - très peu d’hommes - qui sont les oubliés de ces traumatismes collectifs et de ces bouleversements profonds. L’artiste portraite une génération souvent éclipsée par les grands récits historiques. Emprunts de tristesse, ces visages sont les témoins des séquelles laissées par ces événements. Ces images ne peuvent que faire écho aux ébranlements politiques plus récents de l’Ukraine et de l’invasion russe en 2014 et 2022.
Ces artistes, toutes à leur manière, prennent des risques. Elles frôlent les limites de ce qui est montrable, de ce que l’on veut communément voir en photographie et rendent ainsi compte de la complexité de cette frontière, arbitraire et subjective - entre ce qu’on accepte de regarder et ce sur quoi on détourne le regard.
Cette exposition se veut une véritable réflexion sur le rôle, le positionnement et la réaction de ces photographes, qui agissent et transcendent les limites imposées à partir de différents contextes politiques, marqués par une limitation dans la liberté de mouvement, de parole ou de pensées.
Elles se soulèvent.
Jeudi 16.01.2025, de 18h à 20h - Vernissage
Samedi 25.01.2025, à 20h - Concert Gospel
Mercredi 12.02.2025, à 18h - Visite guidée de l’exposition en partenariat avec la Société des Amis des Arts
Pour télécharger le de presse : ici
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You may write me down in history
With your bitter, twisted lies,
You may trod me in the very dirt
But still, like dust, I'll rise.
Does my sassiness upset you?
Why are you beset with gloom?
’Cause I walk like I've got oil wells
Pumping in my living room.
Just like moons and like suns,
With the certainty of tides,
Just like hopes springing high,
Still I'll rise.
Did you want to see me broken?
Bowed head and lowered eyes?
Shoulders falling down like teardrops,
Weakened by my soulful cries?
Does my haughtiness offend you?
Don't you take it awful hard
’Cause I laugh like I've got gold mines
Diggin’ in my own backyard.
You may shoot me with your words,
You may cut me with your eyes,
You may kill me with your hatefulness,
But still, like air, I’ll rise.
Does my sexiness upset you?
Does it come as a surprise
That I dance like I've got diamonds
At the meeting of my thighs?
Out of the huts of history’s shame
I rise
Up from a past that’s rooted in pain
I rise
I'm a black ocean, leaping and wide,
Welling and swelling I bear in the tide.
Leaving behind nights of terror and fear
I rise
Into a daybreak that’s wondrously clear
I ris
Bringing the gifts that my ancestors gave,
I am the dream and the hope of the slave.
I rise
I rise
I rise.
(Maya Angelou, "Still I Rise" from And Still I Rise: A Book of Poems, 1978 by Maya Angelou)
Restrictions on freedoms - which already do not exist at the same level in different geographies - have been knocking on our doors in an insidious way for months.
Take a moment to imagine yourself living in a world where your right to control your own body is not guaranteed, where the right to choose to have a child is abolished, where you are afraid to walk alone at night, where your womb is threatened to be removed at the age of 30 to force you to participate in demographic development, where you are killed because you are a woman, where you cannot go out without an escort, where you are not free to speak and think, where you are not allowed to dance and laugh. To laugh.
Now realise that this is not a projection, an imaginary world, but theirs, ours and yours.
Privileged behind our screen, we could only admire the strength and immense courage of this young Iranian student, Ahou Daryaei, who demonstrated in her underwear outside Tehran University a few weeks ago. A shiver of pride, fear - for her fate - anger and sisterhood ran through the world that day.
So how do we move forward? What can we do on our own small level, and from this protected space in which we live?
For our part, we seek solace in artists, who are often on the front lines of these social struggles. Maya Angelou's poem, which dates back to 1978, is all too relevant today:
Despite the bans, threats, imprisonment and even death that women face, they rise up. Always.
Four photographers do us the honour of showing what we don't want to see, or no longer want to see. They dare to be on the edge, to show a hidden face, what we no longer dare to say, whisper or even think.
Maude Arsenault shows us the female body. Too often sexualised by the male gaze in the history of art, the male gaze is transformed here. The frontal body, the raw genital organ, is devoid of sensuality, or perhaps on the contrary, it is enhanced by a sensuality that is asserted? The artist gives the female subject back her subjectivity and self-determination, a way of taking ownership of her body and her image. Do parts of the body that we don't dare show frighten you?
- Does my haughtiness offend you?
Alexandra Catiere's portraits seem timeless. From Belarus to France, via the United States, she seeks to transcribe in her photographs a kind of universality. Sensations and emotions that connect us all. Her camera becomes the tool that transcribes the empathy of her subjects. Pain, sadness and death are themes that are addressed in her work without filters, in a sensitive and authentic way.
The works of Sara Kontar and Katherine Turczan share a desire to make the invisible visible, bearing witness to the intimate consequences of political and historical upheaval and capturing the resilience of marginalised communities.
Sara Kontar documents the lives of Syrian women in exile, who have fled the war. Torn from their homelands, these women recreate a community, a ‘home’ far from home, by symbolically ritualising the act of cutting their hair. The only hands they trust are those of their ‘sisters’. With this gesture, they release a tiny bit of weight and suffering, as a sign of a new beginning. These invisible women in our society, to whom Sara gives a face, take care of each other, recreating a form of living together and a benevolence that has been denied them.
Katherine Turczan, for her part, captures the poignancy of Ukrainian youth from 1991 to 2008. After Chernobyl and the collapse of the Soviet Union, the artist photographed children, women and teenage girls - very few men - who were the forgotten victims of these collective traumas and profound upheavals. The artist portrays a generation often overshadowed by the great historical narratives. These sad faces bear witness to the after-effects of these events. These images echo the more recent political upheavals in Ukraine and the Russian invasion of 2014 and 2022.
These artists, each in their own way, take risks. They skirt the limits of what can be shown, of what we commonly want to see in photography, and in so doing they reveal the complexity of this arbitrary and subjective boundary - between what we agree to look at and what we look away from.
This exhibition is intended as a genuine reflection on the role, positioning and reaction of these photographers, who act and transcend the limits imposed by different political contexts, marked by restrictions on freedom of movement, speech and thought.
They rise.
Thursday 16.01.2025, 6-8pm - Opening
Saturday 25.01.2025, 8pm - Gospel Concert
Wednesday 12.02.2025, 6pm - Guided tour of the exhibition in partnership with the Société des Amis des Arts
To download the press kit : here
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